Source : Article publié le 29/09/2023 par Lefebvre Dalloz

Sabrina Dougados, avocate associée du cabinet Littler France, fait le point sur les projets législatifs et réglementaires en matière de formation professionnelle. Elle revient également sur l’actualité jurisprudentielle à avoir en tête. Entretien.

Quelles grandes réformes législatives attendre sur la formation professionnelle ?

En 2023, l’un des textes importants porte sur le projet de loi Plein emploi qui sera discuté à partir du 25 septembre prochain à l’Assemblée nationale. Ce texte ne concerne pas directement la formation professionnelle mais il a un effet indirect car il s’agit d’un projet de loi systémique qui rebat les cartes du service public de l’emploi. Dans le cadre de la mise en place du réseau France travail, les acteurs institutionnels et financeurs de la formation professionnelle auront un rôle à jouer. Le texte pourrait être voté d’ici à la fin de l’année.

En 2024, les parlementaires devraient examiner un nouveau projet de loi Travail principalement tourné sur l’emploi des seniors. Ce projet de texte devrait contenir un certain nombre de dispositions en matière de formation professionnelle. Plusieurs thèmes pourraient y figurer notamment la révision des dispositifs d’accès à la formation des salariés qui souhaitent bénéficier d’une mobilité professionnelle tant interne qu’externe. Avec l’objectif de de parvenir à des dispositifs plus lisibles, financièrement solvables et favorisant davantage les logiques de reconversion professionnelle, que ce soient pour les demandeurs d’emploi ou les salariés en poste dans leur entreprise.

En termes de calendrier, ce débat législatif devrait intervenir après la négociation d’un accord national interprofessionnel par les partenaires sociaux, à partir d’un document d’orientation qui devrait leur être adressé par le ministère du travail à l’issue de la conférence sociale prévue mi-octobre prochain.

Quels sont les textes réglementaires attendus d’ici à la fin de l’année  ?

L’un des textes les plus attendus porte sur l’encadrement de la sous-traitance

Outre le projet de décret instaurant un reste à charge pour tout achat de formation par l’intermédiaire du CPF, l’un des textes les plus attendus porte sur l’encadrement de la sous-traitance des actions de formation achetées via le compte personnel de formation, en application à la loi du 19 décembre 2022. Le projet de décret prévoit que les sous-traitants, quand ils exécutent des actions éligibles au CPF seront soumis aux mêmes obligations que les donneurs d’ordre, prestataire principal, et notamment la détention de la certification Qualiopi.
En outre, un organisme de formation pourra sous-traiter la réalisation de tout ou partie  des actions éligibles au CPF uniquement dans la limite d’un plafond fixé par arrêté ministériel et exprimé en pourcentage du chiffre d’affaires réalisé sur la plateforme Mon Compte formation.
Enfin le projet de décret devrait interdire le recours à la sous-traitance en cascade, c’est-à-dire de deuxième niveau. En clair, le sous-traitant d’un organisme de formation ne pourra pas recourir à son tour à un autre sous-traitant (« de deuxième niveau ») pour l’exécution des actions éligibles au CPF.
Ce texte devrait être publié dans les prochaines semaines.

Deux décrets du 10 août 2023 détaillent la mise en œuvre du compte professionnel de prévention (C2P) ouvert aux salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels. Concrètement quels changements prévoir ?

Ces deux textes, pris en application de l’article 17 de la loi LFRSS pour 2023, posent un principe clair : les salariés exposés à des facteurs de pénibilité vont pouvoir bénéficier de dispositifs de reconversion professionnelle spécifiques afin d’accéder à un métier moins ou pas pénible.

Deux cas de figure sont à distinguer  :

  • Le premier vise les salariés qui ne sont pas titulaires d’un C2P mais qui sont exposés à des facteurs de risques professionnels dits ergonomiques (manutentions manuelles de charges, postures pénibles et vibrations mécaniques). Ils pourront bénéficier d’un projet de transition professionnelle qui sera financé par les associations Transitions professionnelles, lesquelles recevront une dotation financière dédiée  par l’intermédiaire de la Cnav et non du fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle.
  • Le second cas de figure concerne les salariés qui sont dotés d’un C2P (en raison d’un facteur de pénibilité lié au rythme de travail ou à un environnement extrême : travail de nuit, travail en équipes successives alternantes, travail répétitif, activités en milieu hyperbare, températures extrêmes ou bruit). Ces salariés vont pouvoir utiliser tout ou partie des points inscrits sur leur compte pour bénéficier d’un projet de reconversion professionnelle, afin de réaliser une formation, un bilan de compétences et/ou une validation des acquis de l’expérience. Et ce, sans perte de rémunération. Ce sont les associations AT pro qui assureront l’instruction et la prise en charge de ces dossiers.

Quels sont les points vigilance à avoir en tête au regard de l’actualité jurisprudentielle ?

On commence à avoir une jurisprudence assez abondante sur l’entretien professionnel

Rappelons tout d’abord que la Cour de cassation a indiqué, dans un arrêt du 5 juillet 2023, que l’entretien annuel d’évaluation pouvait se dérouler à la même date que l’entretien professionnel. A condition toutefois, que lors de la tenue de ce dernier, « les questions d’évaluation ne soient pas évoquées ».

Par ailleurs, la Cour d’appel de Rouen a affirmé, dans un arrêt du 13 avril dernier (voir en pièce jointe), que l’entretien professionnel devait donner lieu à un document écrit mentionnant que toutes les informations obligatoires (relatives à la VAE, le CEP et le CPF) ont bien été abordées. Selon les juges, cette absence d’informations a constitué un « trouble manifeste illicite ». Et ce, en dépit de la rédaction d’un guide dédié à l’attention de managers pour bien mener ces entretiens. Ce manque de formalisme a contraint l’employeur à verser des dommages et intérêts au salarié concerné.

A noter également que plusieurs Cours d’appel (1) ont pris le contre-pied de la position publiée par le ministère du travail en considérant que les critères qui permettent de déclencher un abondement correctif du CPF (3 000 euros) doit être apprécié de manière alternative et non cumulative. En clair, si l’employeur a effectué tous les entretiens professionnels OU qu’il a proposé au moins une formation non-obligatoire au salarié sur la période considérée des six dernières années, il a satisfait à son obligation légale et n’est pas redevable de l’abondement correctif. Ces décisions de justice sont évidemment très favorables aux employeurs. La Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur ce sujet.

Enfin, dans un arrêt du 17 janvier dernier, la cour d’appel de Grenoble a reconnu valable une clause de dédit formation dans le cadre d’une formation qui avait été pour partie financée via le compte personnel de formation (CPF) du salarié. A ma connaissance, c’est la première fois que les juges ont eu l’occasion de se prononcer sur l’articulation entre une clause de dédit formation et le CPF.

Anne Bariet


(1) arrêts de la Cour d’appel de Paris du 2 décembre 2020 (n° 18/05343), de la Cour d’appel de Nîmes du 14 décembre 2021 (n° 18/04593), de la Cour d’appel de Dijon du 3 mars 2022 (n° 20/00115) et de la Cour d’appel de Pau du 9 juin 2022 (n° 19/03594).