Source : L’usinenouvelle. Publié le 21/11/18.


Les compétences transverses sont un des nouveaux enjeux de la formation. Depuis quelques temps, ces compétences prennent de plus en plus de place dans les objectifs de formation des entreprises. Mais il n’est pas toujours facile de savoir comment les développer chez ses collaborateurs. Notamment, elles sont souvent vues comme « innées », difficiles voire impossibles à acquérir une fois adulte, comme si elles n’étaient destinées qu’à une certaine tranche de la population. Au centre de ce problème, le fait qu’elles sont souvent mal définies, et qu’on les confond souvent aux traits de personnalité qui eux sont figés, stables dans le temps.

Pourtant, il est bien possible de développer ces compétences transverses et derrière des termes généralistes tels que la collaboration, l’empathie, la créativité, ou encore l’esprit critique, se cachent des phénomènes cognitifs et comportementaux sur lesquels il est possible d’agir, par des moyens parfois simples. Sans prétention d’exhaustivité, voici un tour d’horizon de ce qui se cache derrière quatre des compétences désormais clés pour de nombreux individus.


Être créatif, au-delà des méthodes

 

C’est sûrement une des compétences les plus en vogue actuellement : avoir des idées innovantes et s’en servir pour résoudre des problèmes complexes et/ou acquérir de nouveaux marchés. Avant de s’attacher à acquérir des méthodes et des outils de créativité, il est possible de favoriser des comportements et des environnements qui stimulent l’émergence d’idées nouvelles et originales. Le premier des facteurs clés, trop souvent oublié, n’est autre que l’expertise. Il faut oublier l’image du créatif oisif et hors de la réalité.

L’innovation dans un domaine ne pourra se faire sans une connaissance pointue de ce sujet. Pour cela, il est donc crucial de former les collaborateurs à apprendre à apprendre. Une idée innovante ne peut naitre que si des informations, acquises dans différents contextes, ont préalablement été stockées et consolidées dans notre cerveau.

Le second des facteurs clés, une fois encore oublié dans les organisations actuelles, est celui de l’incubation. Pour favoriser la mise en lien des informations, le cerveau doit se trouver dans des moments de déconnexion, qu’il s’agisse du sommeil, ou des temps de pauses, qui permettent à notre cerveau de rentrer dans un mode favorable à l’émergence d’idées et la résolution de problème [1].

Enfin, la créativité peut être facilitée, mais aussi freinée par la collaboration. Par exemple, brainstormer en équipe peut inhiber l’expression d’idées de certains individus [2]. Aussi, la pression des pairs, la norme sociale, et de nombreux autres facteurs, vont pouvoir venir influer l’émergence d’idées nouvelles. Ici, il nous revient donc d’apprendre à manier les mécanismes qui régissent nos interactions sociales. Acquérir ces trois piliers serait donc un pré-requis pour que le déploiement des méthodes stimulant la créativité (design thinking, …) puisse être pertinent et efficace.


Apprendre à apprendre

Les entreprises du XXIème siècle devront devenir des entreprises apprenantes, où les connaissances évoluent avec leur temps. Avec l’accélération des transformations, qu’il s’agisse des procédures ou des tendances des marchés, les pratiques et les savoirs créateurs de valeurs sont amenés à évoluer de plus en plus vite, et de nombreuses connaissances acquises aujourd’hui pourront devenir obsolètes dans quelques années. À ce rythme, il n’est plus possible de compter sur les seules heures de formation pour pouvoir acquérir de nouvelles connaissances. L’apprentissage devra donc se faire de plus en plus en situation réelle, et il est essentiel que les individus puissent dès à présent apprendre à apprendre.

Bien que cela ne nous ait jamais réellement été appris à l’école, il est possible d’être formé aux pratiques qui favorisent l’apprentissage. Maitriser son attention et préserver sa charge cognitive, découper ses sessions d’apprentissage dans le temps, se mettre en situation d’effort et de difficulté mesurée, etc. La recherche en sciences cognitives montre depuis quelques années que chacune de ces pratiques favorise la mémorisation des informations et leur utilisation dans des situations nouvelles [3].

Savoir travailler en équipe

Comme nous l’avons abordé dans un précédent article, nous sommes des êtres sociaux, et nos interactions avec ceux qui nous entourent jouent un rôle crucial dans notre activité quotidienne. Pourtant, interagir avec autrui n’est pas si simple et nécessite de comprendre l’autre, ses paroles mais aussi tous les signaux transmis de façon non-verbale (expressions faciales, gestes, etc. …). Sans pour autant être une personne extravertie, ou particulièrement sociable, il est possible d’acquérir des capacités clés : savoir comment fonctionnent nos émotions, leur rôle sur nos comportements, mais aussi apprendre à stimuler au quotidien notre empathie. Ces pratiques peuvent nous permettent de réagir de façon adaptée aux comportements de notre interlocuteur.

Mais ici encore la transformation numérique des entreprises vient rajouter de la complexité, puisque ces interactions sociales se font bien souvent à plusieurs, et à distance. Qu’il s’agisse de choisir son mode de communication, ou bien d’organiser les prises de paroles au sein du groupe pour favoriser l’émergence d’idées nouvelles ou au contraire de parvenir à un consensus, les sciences cognitives offrent un prisme pour comprendre nos comportements quotidiens et identifier les leviers d’amélioration.

Savoir organiser ses rythmes de travail

C’est le grand oublié du rapport du World Economic Forum : apprendre à s’organiser pour gagner en efficacité. À l’ère du numérique, nous sommes désormais soumis à des informations de plus en plus nombreuses, et de plus en plus fragmentées. Ces informations nous parviennent de multiples sources (open-space, réunions, mails, skype, réseaux sociaux, internet, chat, etc) et de façon de plus en plus fragmentée dans le temps. Aujourd’hui, nous devons capter au fil de l’eau les informations nécessaires à notre activité. Conséquence indirecte de cette fragmentation : dans certaines entreprises, un salarié est interrompu en moyenne toutes les 3 minutes [4]. Or, comme nous l’avons déjà abordé dans un précédent article, notre cerveau ne peut traiter toutes ces informations de façon efficace. Il devient alors nécessaire de savoir organiser son temps de travail, savoir prioriser, gérer ce qui est urgent de ce qui ne l’est pas. Cette organisation, nous devons l’acquérir pour réussir à préserver notre attention, notre concentration, et notre efficacité.

Une des autres conséquences indirectes de la digitalisation des entreprises est la disparition progressive des temps de récupération. Que ce soit au travail ou dans notre vie personnelle, il devient de plus en plus difficile de mettre notre travail à distance. Or ici aussi, cela a un coût pour notre cerveau, notre bien-être, et notre efficacité. Il devient donc tout aussi urgent d’apprendre à se déconnecter, sur des temps plus ou moins longs, afin d’éviter l’épuisement professionnel, mais aussi d’être pleinement mobilisé lorsque nous reprenons le travail.

Distinguer les compétences des personnalités

Bien que non exhaustif, cet article montre qu’avec l’évolution des modes de travail, il existe des comportements clés qui pourront, et devront, être transmis dans l’entreprise. Pour permettre cette montée en compétences, encore faut-il s’intéresser à ces comportements, et à ce que les collaborateurs peuvent donc réellement acquérir, plutôt qu’à leur personnalité, sur laquelle aucune formation ne pourra, ni ne devra, intervenir. Comme le précise Cécile Jarleton, doctorante en psychologie du travail au Lab RH, nous avons aujourd’hui trop tendance à nous intéresser “à ce que sont les gens alors que ce qui compte, c’est ce qu’ils font”. Afin de faire ce tri, et de concevoir des parcours de formations pertinents et efficaces au XXIème siècle, les sciences cognitives, qui s’intéressent tant aux traits de personnalité qu’aux comportements, peuvent s’avérer très utile.

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[1] Wagner U, Gais S, Haider H, Verleger R, Born J. Sleep inspires insight. Nature; 2004
[2] Kohn, N. W., & Smith, S. M.. Collaborative fixation: Effects of others’ ideas on brainstorming. Applied Cognitive Psychology; 2011
[3] Brown PC, McDaniel MA, Roediger HL. Make it stick: the science of successful learning. Belknap Press of Harvard Univ. Press; 2014
[4] Gonzalez VM and Mark G, Constant, Constant, Multi-tasking Craziness”: Managing Multiple Working Spheres, CHI Paper; 2004